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5. Analyses linéaires

Gargantua - Rabelais - Chapitre 23




Passage étudié



1. Introduction


  • Présentation de l'auteur, de l'oeuvre et de l'extrait


François Rabelais (vers 1494-1553) est un écrivain humaniste de la Renaissance, célèbre pour ses romans Pantagruel et Gargantua. Médecin, écrivain et philosophe, il incarne un esprit curieux et avide de savoir. À travers son style satirique et son humour burlesque, il critique la société de son époque tout en célébrant la connaissance, la liberté et l’humanisme. Son roman Gargantua illustre particulièrement cette pensée humaniste, notamment à travers une réflexion sur l’éducation et les principes d’un enseignement éclairé.

 

Dans le chapitre 23 de Gargantua, Rabelais propose une description très détaillée de la nouvelle éducation donnée à Gargantua, désormais encadrée par Ponocrates. Ce passage s’inscrit dans une opposition nette avec les chapitres précédents où l’on découvrait une éducation médiévale caricaturale, inefficace et purement formelle. À présent, Rabelais développe un projet éducatif fondé sur les valeurs de la Renaissance : une instruction complète, vivante, tournée vers la connaissance de soi, du monde, et l’épanouissement de l’être humain. À travers cette journée idéale, c’est donc tout l’idéal humaniste qui se déploie sous nos yeux.

 


2. Lecture de l'extrait

Lors de ton passage à l'oral, tu peux lire le texte à tout moment dans l'introduction. Cependant, beaucoup d'élèves oublient de le faire. Je te recommande donc de lire le texte immédiatement après avoir présenté l'œuvre et l'extrait.



3. Annonce de la problématique

Comment Rabelais illustre-t-il l’idéal humaniste d’une éducation équilibrée entre le corps et l’esprit ?



4. Annonce des mouvements             

 

I. Une éducation dès le réveil, entre spiritualité et savoir

II. L’observation du monde et la remémoration du savoir

III. Une éducation complète qui inclut l’exercice physique


 


1. Une éducation dès le réveil, entre spiritualité et savoir

Du début jusqu’à « les passages les plus obscurs et les plus difficiles. »



  • Une éducation rigoureuse dès l’aube


Le passage s’ouvre sur un emploi du temps extrêmement structuré, révélateur d’une éducation exigeante. L’emploi du passé simple « il le soumit » renforce l’idée d’une organisation ferme, imposée par un précepteur soucieux de rigueur. La phrase insiste sur l’intensité du travail en montrant que chaque moment de la journée est pensé comme un temps utile : « il ne perdait pas une heure de la journée ». L’emploi de la négation totale « ne… pas une heure » donne une dimension hyperbolique à cette rigueur, presque sans répit. Le déterminant indéfini « tout » dans l’expression « tout son temps » renforce l’idée d’un investissement total dans l’apprentissage.


Le début de journée est marqué par une grande précocité, soulignée par le complément circonstanciel de temps « vers quatre heures du matin ». Cela exprime une volonté de profit maximal du temps, dans une logique de rigueur intellectuelle. Dès ce moment, plusieurs activités se superposent : le complément circonstanciel de temps « pendant que » introduit une construction en simultanéité entre l’action physique « on le frictionnait » et l’action intellectuelle « on lui lisait quelque page des Saintes Écritures ». Cette syntaxe complexe, avec subordination, reflète la richesse du moment éducatif, où l’on ne perd aucune minute.


L’activité inaugurale de la journée est donc une lecture, à la fois intellectuelle et spirituelle : la Bible. L’auteur n’utilise pas un terme neutre, mais la périphrase « les Saintes Écritures », qui donne au texte un caractère sacré. La lecture est confiée à un jeune page nommé Anagnostes, dont le nom même constitue une référence érudite : issu du grec ancien anagnôstês, il signifie littéralement « lecteur ». Le nom propre devient un symbole de la fonction même du personnage. Rabelais met ainsi en valeur le rôle fondamental de la lecture dans l’éducation humaniste.

À travers ce début de journée, Rabelais insiste sur l’importance du recueillement spirituel et de la connaissance sacrée, qui occupent une place centrale dans la formation de Gargantua. Les textes religieux ne sont pas simplement des objets de dévotion : ils sont présentés comme des sources d’élévation morale et d’exercice intellectuel, dans une perspective humaniste où le sacré nourrit la pensée.

 


  • Une articulation entre foi et réflexion critique


La suite du passage montre que la lecture s’inscrit dans une démarche de réflexion personnelle et raisonnée. Gargantua ne se limite pas à écouter : « il s’appliquait à révérer, adorer, prier, et supplier le bon Dieu ». L’énumération de ces quatre verbes, tous connotés religieusement, forme une gradation ascendante qui souligne l’intensité et la sincérité de sa foi. Mais cette foi n’est pas aveugle : elle naît d’un véritable effort de compréhension. L’expression hyperbolique « dont la majesté et les merveilleux jugements apparaissaient à la lecture » valorise la puissance du texte sacré tout en montrant que c’est la réflexion qui permet de percevoir le divin, plutôt qu’un simple rituel ou une tradition héritée.   

                                                               

Ce lien entre foi et raison est renforcé par la suite du rituel : après la lecture, lors d’un moment intime souligné par l’euphémisme « lieux secrets », le précepteur revient sur ce qui a été lu et « lui expliquait les passages les plus obscurs et les plus difficiles ». Le champ lexical de la compréhension : « expliquait », « passages », « obscurs », « difficiles » met en valeur une pédagogie active centrée sur l’analyse des textes et la compréhension profonde. Il ne s’agit donc pas de réciter mécaniquement, comme dans les modèles d’enseignement critiqués par Rabelais (notamment ceux des sophistes) mais de comprendre, d’interroger, d’interpréter.


Ainsi, ce moment de la journée ne sépare pas le sacré de la raison : au contraire, ces deux sphères sont reliées dans un idéal humaniste. Chez Rabelais, l’éducation doit nourrir à la fois l’âme et l’esprit, en faisant dialoguer spiritualité et réflexion critique.



2. L’observation du monde et la remémoration du savoir

De « En revenant, ils considéraient l’état du ciel... » jusqu’à « quand il était complètement habillé. »



  • Une ouverture à la nature et à la connaissance du monde


Après le moment de recueillement religieux, l’éducation se poursuit par une activité tournée vers l’observation du réel : Gargantua et son précepteur « considéraient l’état du ciel ». Cette formule en apparence simple, annonce en réalité une approche du monde fondée sur l’observation quotidienne du réel. Le verbe « considérer », plus fort qu’ « observer », évoque un regard attentif, réfléchi, presque contemplatif. On quitte ici la lecture des livres pour entrer dans une forme de lecture du monde, chère à la pensée humaniste de la Renaissance. L’emploi de l’imparfait d’habitude (itératif) « considéraient », « était », souligne une pratique régulière, relevant presque du rituel.

L’univers devient alors un objet d’étude quotidien. Loin d’être passive, cette observation engage Gargantua dans une démarche raisonnée, soutenue par le champ lexical scientifique : « signes », « soleil », « lune ». Ces termes, associés à la cosmologie (étude de l’univers) de l’époque, montrent que l’éducation vise aussi à former un regard scientifique sur le monde, et non uniquement spirituel.  


Cette ouverture à la nature complète la lecture des textes : chez Rabelais, la vérité ne se trouve pas uniquement dans les livres mais aussi dans le monde observable, lui aussi perçu comme un « livre » à déchiffrer. Cette idée, typique de l’humanisme, associe observation, raisonnement et expérience.

Enfin, la complexité de la phrase qui décrit cette scène d’observation, avec ses trois subordonnées (deux interrogatives indirectes et une circonstancielle de comparaison), reflète la richesse du sujet observé. La syntaxe elle-même souligne la multiplicité des phénomènes astronomiques à prendre en compte, tout en valorisant une pédagogie patiente, progressive, rigoureuse.


Illustration d'un bébé géant symbolisant l'éducation de Gargantua, inspirée du roman de Rabelais.

 

  • Une remémoration active et vivante du savoir


Ce moment d’ouverture à la nature est suivi d’un retour au savoir, mais cette fois de manière interactive et vivante : pendant que Gargantua est « habillé, peigné, coiffé, apprêté et parfumé », on lui répète les leçons de la veille. L’énumération des actions liées à la toilette donne un rythme cadencé au texte, et montre que le savoir s’insère dans la vie quotidienne. Le corps et l’esprit ne sont jamais dissociés comme l’indique le complément circonstanciel de temps « pendant ce temps » : Gargantua apprend en se préparant, dans une relation constante entre les gestes du corps et les activités de l’esprit.


L’enseignement est également actif. L’expression « lui-même » insiste sur l’implication active de l’élève dans son apprentissage. L’expression « par cœur » évoque la mémorisation, mais aussi une certaine intériorisation du savoir. En effet, Gargantua « y appliquait des exemples pratiques concernant la condition humaine ». Cette précision montre que l’apprentissage ne reste pas théorique, mais se relie à l’expérience concrète. Le savoir prend alors tout son sens lorsqu’il s’applique à l’homme, à sa nature, à sa destinée, des sujets au cœur de la philosophie humaniste.


La durée de l’action est encore soulignée par un complément circonstanciel de temps « pendant deux ou trois heures » renforcé par l’imparfait d’habitude du verbe « poursuivaient », ce qui indique l’intensité, la répétition et la régularité des échanges. Le mot « discussion » évoque l’oralité et le partage d’idées. Le savoir n’est pas unilatéral comme chez les sophistes ; il est dialogue, échange, réflexion partagée.

Ce deuxième moment de la journée illustre donc une pédagogie fondée sur la curiosité, l’échange et une participation active de Gargantua à son éducation, ce qui correspond parfaitement à la vision humaniste d’un esprit libre et éclairé par la raison.

 


3. Une éducation complète qui inclut l’exercice physique

De « Ensuite, (…) toujours en discutant du sujet de la lecture... » jusqu’à la fin.



  • La continuité entre le travail de l’esprit et le mouvement du corps


Dans cette dernière partie, Rabelais montre que l’éducation ne se limite pas qu’à l’apprentissage intellectuel : elle se poursuit dans l’activité physique. Cependant, il n’y a pas de rupture brutale entre les deux domaines : l’adverbe « toujours » souligne la continuité entre les apprentissages de la journée et les activités à venir.  Le participe présent « en discutant » indique la simultanéité entre le mouvement et la pensée. Le savoir se déplace avec eux : la réflexion se prolonge au-delà de la salle d’étude, dans un esprit d’ouverture propre à l’humanisme.


Le lien entre le corps et l’esprit est également exprimé par l’imparfait d’habitude « ils allaient faire du sport » qui suggère une régularité dans cette association corps/esprit : le sport n’est pas une simple détente : il est pleinement intégré au projet éducatif. La construction même de la phrase, là aussi, sans rupture syntaxique, traduit l’harmonie de cette articulation entre corps et esprit, fondamentale dans la pensée humaniste.



  • Une valorisation du sport comme éducation du corps


La phrase se poursuit par une énumération de jeux physiques « jouaient à la balle, à la paume, au ballon ». Ces exercices variés sont autant de moyens de former le corps de manière équilibrée. Le choix du cadre naturel, « le Grand Braque » ou « les prés », inscrit ces pratiques dans un environnement sain, ouvert, en lien avec la nature, selon l’idéal de retour au naturel défendu à la Renaissance.


L’adverbe « élégamment » qualifie leur manière de s’exercer et indique que l’activité physique se fait avec maîtrise, mesure et grâce. Il s’agit bien de cultiver le corps avec autant d’exigence que l’esprit. La proposition subordonnée circonstancielle de condition « comme ils s’étaient auparavant exercé les âmes » établit un parallèle explicite entre l’effort intellectuel et l’effort physique. Le chiasme « s’exerçant élégamment les corps, comme ils s’étaient auparavant exercé les âmes » met en miroir l’exercice du corps et celui de l’âme, par une symétrie syntaxique qui reflète l’équilibre recherché dans l’éducation humaniste. Ce jeu de construction illustre l’idée que toute la personne humaine est concernée par la formation : dans ses dimensions intellectuelle, corporelle et morale.

Rabelais donne ainsi une vision humaniste de l’éducation, dans laquelle l’étude et le sport sont complémentaires, et où la joie du mouvement participe pleinement à la formation d’un individu accompli..



Conclusion


À travers la mise en scène minutieuse de la journée-type de Gargantua, Rabelais expose l’idéal humaniste d’une éducation harmonieuse, mêlant culture du corps, développement intellectuel et formation morale. Loin de l’érudition stérile ou de la superstition, l’éducation devient ici un moyen d’émancipation et d’épanouissement complet de l’individu.

On retrouve cet idéal quelques siècles plus tard chez les philosophes des Lumières, comme Rousseau, qui accorde lui aussi une place centrale à la formation naturelle, libre et raisonnée de l’enfant dans son roman Emile ou de l’éducation.

 




La philosophie humaniste


L’Humanisme : une pensée nouvelle au service du savoir et de l’homme


Illustration de deux doigts pointant vers une lumière, symbolisant l'humanisme dans le roman de Rabelais.

L'humanisme est un courant intellectuel majeur de la Renaissance, né en Italie au XIVe siècle et qui s'est développé en Europe jusqu'au XVIe siècle.


Il place l’homme, la raison et le savoir au cœur de la réflexion. Les humanistes pensent que l’éducation est essentielle pour permettre à chacun de développer pleinement ses capacités, aussi bien sur le plan intellectuel, moral que physique.


Ils valorisent les textes antiques (grecs et latins), les sciences, la philosophie, mais aussi les langues anciennes. Leur but est de former un homme libre, éclairé et responsable, capable de penser par lui-même.

L’humanisme s’accompagne aussi d’une confiance nouvelle dans les capacités de l’esprit humain et d’une volonté de réconcilier foi et raison, comme on le voit dans l’éducation idéale de Gargantua.



✒️ Les grands auteurs humanistes



  • Érasme - Éloge de la folie (XVe) : défenseur de la paix, de l’éducation, de la tolérance.


  • Rabelais - Gargantua, Pantagruel (XVe) : célèbre pour sa critique des abus de son temps et sa vision d’une éducation harmonieuse.


  • Montaigne - Essais  (XVIe) : réflexion sur soi, sur la condition humaine, importance du doute et de l’expérience personnelle.


  • Thomas More -Utopie  (XVe) : invente un monde idéal où règnent justice, savoir et équilibre.


Leonard de Vinci, Pétrarque, Vives... font aussi partie de ce grand mouvement de redécouverte du savoir antique et de promotion de l'homme cultivé.

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