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5. Analyses linéaires

Cahier de Douai - Vénus Anadyomène - A. Rimbaud



Poème



1. Introduction


  • Présentation de l'auteur, de l'oeuvre et de l'extrait


Rimbaud est un poète français du XIXᵉ siècle qui compose ses premiers poèmes dès l’âge de 15 ans. Selon lui, le poète doit être un « voyant » et se faire le porte-parole de la modernité poétique. En 1870, il compose Les Cahiers de Douai, recueil dans lequel il exprime déjà son rejet des conventions littéraires et sociales.


Dans l'histoire de l'art, Vénus, notamment celle que Botticelli représente dans La Naissance de Vénus (1485), incarne un idéal de beauté féminine. Rimbaud, lassé de cette vision traditionnelle, en propose une version parodique et provocatrice dans son poème Vénus Anadyomène. Dans un esprit de révolte et de quête de modernité, il fait de la laideur un sujet poétique à part entière. Vénus n’est plus une figure divine et séduisante, mais une créature grotesque et disgracieuse, surgissant non plus des flots, mais d’une simple baignoire. À travers cette réécriture ironique, Rimbaud s'inscrit dans une démarche de rupture avec l’esthétique classique et affirme sa volonté de renouveler la poésie.



2. Lecture de l'extrait

Lors de ton passage à l'oral, tu peux lire le texte à tout moment dans l'introduction. Cependant, beaucoup d'élèves oublient de le faire. Je te recommande donc de lire le texte immédiatement après avoir présenté l'œuvre et l'extrait.



3. Annonce de la problématique

 Comment Rimbaud détourne-t-il les conventions poétiques pour remettre en question l’idéal traditionnel de la beauté ?



4. Annonce des mouvements


I. L’émergence progressive d’une figure féminine grotesque

II. Une description morcelée et grotesque du corps féminin

III. La fin d'un portrait burlesque et repoussant




 

 

I. L’émergence progressive d’une figure féminine grotesque

Premier quatrain

 


  • Un horizon d'attente déchu


Rimbaud compose son titre à partir d'un adjectif qualificatif, « anadyomène », qui signifie « sortie des eaux » en grec. Ce choix met en valeur sa maîtrise du langage et de la mythologie, tout en évoquant les origines mythiques de Vénus, née d'Ouranos et de la mer. À travers ce titre, Rimbaud crée un horizon d'attente, laissant supposer qu'il va célébrer la déesse de l'amour et de la beauté. Pourtant, dès le premier vers, cet horizon est brutalement brisé.


En effet, le poème s’ouvre sur une comparaison incomplète : « Comme d’un cercueil vert en fer blanc… ». L’image du cercueil évoque immédiatement la mort, en opposition au mythe de Vénus, traditionnellement associé à la naissance et à la beauté. Ici, au lieu d’une apparition éclatante, la déesse semble surgir d’un tombeau, renforçant l’idée d’une parodie. La mention du « fer blanc » peint en « vert » souligne la médiocrité de la baignoire, suggérant un objet de mauvaise qualité, éloigné de toute grandeur mythologique.



  • Une apparaition ambivalente


Le contre-rejet du groupe nominal « une tête » (v.2) retarde la révélation de l’identité du personnage, fragmentant ainsi sa description. Cette apparition partielle crée un effet d’attente : le lecteur pourrait d’abord croire à une figure majestueuse, pourquoi pas la Vénus de Botticelli, avant d’être confronté à une tout autre réalité.

L’adverbe d’intensité « fortement » (v.2) met en avant l’aspect « pommadé » des cheveux, insistant sur leur texture grasse et plaquée. Loin de la chevelure soyeuse et aérienne des représentations classiques de Vénus, ces cheveux bruns semblent alourdis, peut-être même sales. La couleur brune contraste avec les chevelures dorées des canons traditionnels de la beauté féminine et peut renforcer cette impression de négligence.



  • Une déconstruction de la beauté traditionnelle


Au vers 3, Rimbaud emploie un registre prosaïque (banal) pour évoquer la « vieille baignoire », un objet du quotidien. L’adjectif « vieille » accentue encore la dépréciation de la scène et de la déesse. La femme peine à émerger, décrite comme « lente », ce qui lui confère une allure maladroite et grotesque. L’adjectif « bête », également péjoratif, renforce cette image ridicule. En exploitant la polysémie du mot « bête », Rimbaud suggère une comparaison implicite avec l’animalité, ce qui accentue encore la dégradation de la figure de Vénus. »

Les premiers vers mettent en évidence la parodie de Rimbaud, qui détourne l'idéal de Vénus pour en proposer une vision grotesque et triviale.



II. Une description morcelée et grotesque du corps féminin

Deuxième quatrain

 


  • Une description du corps fragmentée


L’adverbe « Puis » permet de lier le premier quatrain au second, et son emploi anaphorique au début des vers 5 et 7 crée un effet d’énumération qui morcelle la description du corps, empêchant ainsi une vision harmonieuse et fluide. La description se poursuit avec l’adjectif « gras » et la couleur « gris » du cou. Ces mots évoquent un aspect maladif et disgracieux, renforçant l’impression d’une chair épaisse et peu attrayante. L’adjectif « larges » et le verbe « saillent »  rejeté au vers 6 pour décrire les omoplates accentuent l’effet d’une anatomie déformée, où certaines parties du corps ressortent de manière excessive.



Un prof à tes côtés - cours français – analyse linéaire Rimbaud - Vénus anadyomène

  • Un portrait peu flatteur


L’accumulation des différentes parties du corps, telles que « le col », « les omoplates », « le dos », « les reins », donne l’impression d’un assemblage grossier, presque mécanique, loin de la perfection sculpturale des représentations classiques de Vénus.

En choisissant de ne pas décrire les parties du corps habituellement idéalisées en poésie et en fragmentant sa description, le poète s’oppose à l’image d’une déesse majestueuse émergeant des flots, renforçant ainsi l’effet de dégradation. Cette lourdeur est accentuée par la phrase « le dos court qui rentre et qui ressort », qui crée une impression de maladresse et de difformité, comme si le corps était mal proportionné, ce qui va à l’encontre des canons classiques de la beauté féminine.



  • Un corps lourd et déformé


Le vers 7 commence par un euphémisme : « les rondeurs des reins » désignent en réalité le bassin et les hanches. La métaphore « semblent prendre l’essor » crée un contraste ironique : alors que ce verbe évoque un mouvement léger et aérien, il est ici employé pour décrire des rondeurs, ce qui accentue l’incongruité du portrait. La métaphore « la graisse sous la peau paraît en feuilles plates » transforme la chair en un matériau informe et flasque, suggérant une absence de fermeté et de grâce. L’image de la graisse en « feuilles plates » déshumanise davantage la figure, en la comparant à une matière brute et inesthétique.

Rimbaud déconstruit l’idéal de Vénus à travers des descriptions fragmentées et dévalorisantes pour offrir une vision provocante et disgracieuse de la déesse.



III. La fin d'un portrait burlesque et repoussant

Deux derniers tercets



  • Une description multisensorielle de la dégradation du corps


Le vers 9 commence par l'évocation d’un « échine un peu rouge », suggérant une blessure ou une souffrance. Cette couleur rouge, associée à la douleur, renforce l’idée d’un corps abîmé. La description de Vénus est multisensorielle car elle fait appel à plusieurs sens. En effet, le poète à recourt à la synesthésie pour décrire ce corps dégradé, mélangeant vue, odorat et goût : « le tout sent un goût / Horrible étrangement » (v. 9-10). Cette combinaison de sensations désagréables déstabilise le lecteur, l’invitant à percevoir le corps dans sa totalité, mais sous un angle repoussant.


Le vers 10 commence par un enjambement qui rompt l’harmonie du tercet. Ce procédé déstabilise la fluidité du poème et intervient à la fois sur la représentation de Vénus et sur les codes poétiques. L’adverbe « étrangement » introduit une rupture dans la logique attendue, car il est surprenant que ce corps, censé être propre, dégage une telle odeur. Ce détail brise l'harmonie poétique traditionnelle et souligne le contraste avec les idéaux classiques de beauté. Le vers 11 commence également par un enjambement qui isole le vers, suggérant ainsi que chaque détail de ce corps doit être scruté avec une attention extrême, comme le suggère l’image « des singularités qu’il faut voir à la loupe ». Par cette succession de procédés métriques, Rimbaud installe un rythme haché qui imite le physique de Vénus, défigurée et décomposée.


  • L'animalisation du corps


Au vers 12, l’inscription « Clara Venus » sur les reins fait référence à « l'éclatante Vénus » (clara signifie brillant en latin) mais son ironie est immédiate : ce corps défiguré et vulgaire ne correspond en rien à l’image idéalisée d’une déesse. Cette inscription, qui joue sur le contraste entre le nom et l’apparence, accentue l’effet de dégradation et montre que Rimbaud parodie ici la beauté classique.

Le verbe « remue » (v. 13) associé à « tend » introduit une image de mouvement désordonné, comme si la déesse elle-même se transformait en un être monstrueux. Le choix de « croupe » pour désigner la partie postérieure de la déesse accentue l’aspect animal du corps. Ce vocabulaire, qui renvoie à l’animalité, s’éloigne radicalement de l’idéal classique de Vénus, associant la déesse à une créature bestiale. Le corps de Vénus, entre l’humain et l’animal, se mue ainsi en un être grotesque, qui semble s’agiter de manière maladroite et dégradée. La déesse perd toute dimension divine et est ramenée à une créature du quotidien, une figure caricaturale.


  • La chute du poème


Le dernier vers, « belle hideusement », est un oxymore frappant qui souligne le paradoxe du poème : ce qui est laid devient, par le jeu des mots et des images, une forme de beauté dérangeante. Rimbaud manipule l’esthétique classique en montrant que le dégoût et l’attraction peuvent se mêler, perturbant ainsi les attentes du lecteur.

La rime entre « Anus » et « Vénus » (v. 14) établit un lien choquant entre la déesse et un orifice peu poétique, renvoyant à une image crue et dégradée de la féminité. Cette dégradation est accentuée par la référence à l'« ulcère à l’anus », suggérant que la prostituée est atteinte de syphilis, ce qui renforce la dimension réaliste et crue de la déesse, contrastant avec les représentations idéalisées de la beauté et de la pureté féminine.

Rimbaud déconstruit ainsi l’idéal classique de beauté et présente une Vénus qui est tout sauf divine.


Conclusion


En déconstruisant l’image idéalisée de Vénus, Rimbaud transforme la déesse de la beauté en une figure grotesque et dégradée. À travers des procédés poétiques audacieux, il met en lumière le contraste entre la beauté classique et la réalité crue de la féminité, tout en subvertissant les codes traditionnels. Ce poème, par sa parodie et ses images choquantes, remet en cause l’idéal esthétique de l’époque et nous invite à réfléchir sur la notion même de beauté.


Cette dégradation de la beauté se retrouve dans Une Charogne de Baudelaire, où la beauté classique est également renversée. À travers l’image d’un cadavre en décomposition, Baudelaire, tout comme Rimbaud, opère une véritable alchimie poétique en transformant, grâce à la poésie, la boue en or.



Focus sur : la synesthésie



En poésie, la synesthésie est une figure de style qui consiste à mélanger plusieurs perceptions sensorielles (vue, ouïe, toucher, goût, odorat) dans une même expression. Elle permet de créer des images poétiques riches et évocatrices.



🔎 Caractéristiques


  • Fusion des sensations : une perception en évoque une autre comme un son qui a une couleur, ou une odeur qui a une texture.


  • Utilisation d’adjectifs sensoriels inattendus : par exemple, « une musique sucrée » (ouïe + goût).


  • Effet poétique : elle enrichit les descriptions en créant des images sensorielles originales et frappantes.



🧐 Illustrations

  • Charles Baudelaire, Correspondances 


« Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,

Doux comme les hautbois, verts comme les prairies. »

→ Ici, les parfums (odorat) sont associés à des sensations tactiles ("frais"), auditives ("doux comme les hautbois") et visuelles ("verts").


« Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.»

→ Ici, Baudelaire associe des sensations de différents sens (odorat, vue, ouïe), ce qui illustre parfaitement la synesthésie, cette fusion des perceptions sensorielles.

Un prof à tes côtés - cours français – analyse linéaire Rimbaud - Vénus anadyomène



Pourquoi utiliser la synesthésie en poésie ?



  • Enrichir l’image poétique en dépassant la simple description réaliste en associant plusieurs sens de manière inattendue. Cette technique donne plus de profondeur et de nuances aux sensations évoquées, rendant ainsi la poésie plus expressive et imagée.


  • Créer un effet sensoriel intense chez le lecteur en sollicitant plusieurs sens à la fois. Le lecteur ne se contente plus d’imaginer une scène ; il la ressent presque physiquement. Cela permet de capter son attention et de lui faire percevoir la réalité d’une manière nouvelle, presque onirique.



  • Exprimer des émotions complexes et subjectives : la synesthésie permet au poète de traduire des sensations abstraites en les reliant à des perceptions concrètes. Elle reflète aussi la subjectivité du poète, qui perçoit le monde d’une manière unique et singulière.



La synesthésie en poésie enrichit le texte, intensifie l’expérience sensorielle du lecteur et ouvre de nouvelles façons d’exprimer les émotions. C’est une figure de style puissante qui donne à la langue poétique une dimension plus vivante et évocatrice.





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