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5. Analyses linéaires

Cahier de Douai - Roman- A. Rimbaud



Poème étudié



1. Introduction


  • Présentation de l'auteur, de l'oeuvre et de l'extrait


Rimbaud est un poète français du XIXᵉ siècle qui compose ses premiers poèmes dès l’âge de 15 ans. Selon lui, le poète doit être un « voyant » et se faire le porte-parole de la modernité poétique. En 1870, il compose Les Cahiers de Douai, recueil dans lequel il exprime déjà son rejet des conventions littéraires et sociales.


Si certains poèmes de Rimbaud sont antimilitariste, d'autres célèbrent la fougue de la jeunesse. « Roman »appartient à cette seconde catégorie : à travers ce texte, le poète esquisse avec légèreté et malice le tumulte des premières amours à dix-sept ans, entre insouciance, découverte et exaltation des sentiments.



2. Lecture de l'extrait

Lors de ton passage à l'oral, tu peux lire le texte à tout moment dans l'introduction. Cependant, beaucoup d'élèves oublient de le faire. Je te recommande donc de lire le texte immédiatement après avoir présenté l'œuvre et l'extrait.



3. Annonce de la problématique

Comment Rimbaud célèbre-t-il l'insouciance de la jeunesse ?



4. Annonce des mouvements


I. Un cadre festif et estival

II. Un regard poétique et sensoriel sur le monde

III. Le trouble amoureux

IV. La légèreté d'un amour adolescent


 


1. Un cadre festif et estival

Strophes 1 & 2



  • Une jeunesse insouciante et euphorique (1er quatrain)


Le premier vers résonne comme un proverbe : « On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans », grâce au présent de vérité générale qui lui confère une portée universelle. En mentionnant directement « dix-sept ans », Rimbaud inscrit son poème dans l’expérience adolescente et place son récit sous le signe de l’insouciance. L’emploi du pronom impersonnel « on » fait du poète le porte-parole d’une jeunesse en quête de liberté. Cette idée est renforcée par l’utilisation du présent de vérité générale, qui marque une rupture avec la rigueur du monde adulte.


Le poète installe ensuite un cadre spatio-temporel contrasté. Il évoque d’abord un monde urbain et animé, marqué par les termes « cafés tapageurs » et « lustres éclatants », qui suggèrent un univers bruyant et lumineux, symbole de la fête et de l'ivresse. Mais ce monde est rapidement abandonné : la structure du vers suivant « on va sous les tilleuls verts de la promenade » marque une transition immédiate vers un cadre plus calme et naturel. L’emploi du présent de narration « on va » traduit un mouvement spontané caractéristique de l’adolescence. La référence à la nature avec « les tilleuls verts » renvoie à un espace plus intime et apaisant, propice à la rêverie et à la découverte de soi.


La nature devient ainsi un refuge, loin de l’agitation des cafés. Enfin, le choix récurrent du pronom « on », couplé au présent de vérité générale, donne une dimension universelle à cette expérience, comme si elle était partagée par toute une génération.


Rimbaud met en scène une transition entre deux univers, celui de la ville bruyante et de l’exubérance festive, et celui de la nature, lieu privilégié de l’adolescence et de l’éveil à soi-même.


  • Une atmosphère sensorielle qui invite à la rêverie (2e quatrain)


Le deuxième quatrain s'ouvre sur un vers qui semble construit de manière maladroite : la répétition de l’adjectif « bons » (v.5). Cette répétition donne au vers un ton naïf et spontané, comme si le jeune poète s’exprimait sans artifice. Ce choix stylistique contribue à casser les codes du romantisme. Cette simplicité apparente participe à l’authenticité du poème et reflète, en quelque sorte l’insouciance de l’adolescence.


Le poète installe ensuite un cadre propice à la rêverie et les vers suivants prolongent l’atmosphère douce et légère en développant une forte dimension sensorielle. Rimbaud mobilise plusieurs sens à travers des synesthésies, qui mêlent l’odorat « sentent », le toucher « l’air si doux », et l’ouïe « vent chargé de bruits » : cette richesse sensorielle immerge le lecteur dans une impression de bien-être. Rimbaud souligne le lien entre la nature et la ville, qui ne sont pas strictement opposées, mais coexistent dans l’univers du poème.


Le tiret «- la ville n’est pas loin » (v.7) introduit une pause, traduisant une hésitation entre ces deux espaces : la ville, que le poète peut encore percevoir et la nature, qui devient le lieu de la liberté et de l’imagination.

Enfin, l’allitération en [v] « vent », « ville », « vigne » crée un effet de fluidité et de légèreté, renforçant l’idée d’un adolescent qui se laisse porter par ses sensations. Cet état proche de la semi-somnolence est propice aux rêveries amoureuses.



2. Un regard poétique et sensoriel sur le monde

Strophes 3 & 4



  • Une vision du ciel transformée par la sensibilité du poète (3e quatrain)


Dans le troisième quatrain, le poète dirige son regard sur un élément très simple du paysage : un « tout petit chiffon / D’azur sombre », c’est-à-dire un morceau de ciel bleu foncé. Le mot « chiffon », inattendu pour parler du ciel, est un mot familier qui évoque quelque chose de froissé, de modeste, voire d’abîmé. Cela donne une vision personnelle, presque enfantine de la nature. Ce ciel est encadré « d’une petite branche », ce qui suggère que le narrateur est allongé sous un arbre, regardant le ciel à travers les feuilles, dans une position de contemplation. Le champ lexical de la petitesse est omniprésent : l’adjectif qualificatif « petit » revient à trois reprises. Cette insistance donne à la scène une dimension intime, douce, fragile. C’est un regard de jeune homme, encore émerveillé par le monde.


La métaphore filée du tissu « chiffon », « piqué » transforme le ciel en un objet sensible, presque matériel, comme un tissu de soie que l’on pourrait toucher. Le participe passé « piqué » évoque une couture : c’est ainsi qu’apparaît la « mauvaise étoile », ce qui introduit une nuance d’inquiétude ou de mélancolie dans ce tableau. L’adjectif « mauvaise » rompt avec la douceur du reste, et laisse deviner un trouble intérieur. Ce trouble disparaît presque instantanément car l’étoile se « fond / Avec de doux frissons », ce qui crée un effet sensoriel, presque tactile. Le champ lexical de la douceur « doux », « frissons », « petite », « toute blanche » donne une ambiance calme et sensuelle. Le vers s’achève sur une image apaisante, où la blancheur évoque l’innocence et la pureté.


Ce quatrain est donc une interprétation poétique d’une scène banale, où la nature devient le reflet du monde intérieur du poète adolescent.



  • Une ivresse sensorielle et amoureuse (4e quatrain)


Le quatrième quatrain prolonge cette impression de douceur, mais avec un changement de ton plus marqué : « Nuit de juin ! Dix-sept ans ! ». L’ exclamation accélère le rythme du poème et donne une impression de spontanéité, de légèreté. L’emploi des points d’exclamation suggère une joie vive, celle d’un jeune homme en été, plein de vie.


La métaphore, où la sève est comparée à du champagne (v.14), mélange la nature et le corps humain. La sève symbolise ici l’énergie vitale, liée au printemps et à la jeunesse. Le champagne, boisson festive et pétillante, renforce l’idée d’ivresse, de bouillonnement intérieur, typique de l’adolescence. L’expression « vous monte à la tête » est une expression courante qui évoque à la fois l’alcool et l’amour. Les verbes utilisés à la forme pronominale : « on se laisse griser », « on se sent » généralisent le propos et donne une portée universelle à ces sensations, comme si tout le monde ressentait cela à cet âge.


Le poète semble dépassé par ce qu’il ressent, pris dans une expérience presque irréelle. Les deux derniers vers évoquent les premières sensations amoureuses : « on se sent aux lèvres un baiser / Qui palpite là, comme une petite bête… ». Le baiser n’est pas réellement donné, il est imaginé, fantasmé, ce qui renforce l’idée d’un amour naissant, encore innocent, mais déjà très intense. La comparaison avec une « petite bête » donne une dimension vivante, presque animale à ce baiser ce qui traduit bien l’agitation provoquée par le désir chez Rimbaud.


Ce quatrain exprime avec beaucoup de subtilité l’intensité des émotions adolescentes, où la nature reflète l’amour et le trouble intérieur.  



3. le trouble amoureux

Strophes 5 & 6



  • Un cœur en quête d’aventure amoureuse (5e quatrain)


Dans ce quatrain, Rimbaud commence par un terme inventé « robinsonne », qui suggère un imaginaire en pleine ébullition, un esprit qui dérive dans des rêves romanesques. L’adolescent idéalise l’amour comme le souligne l’expression « cœur fou » qui accentue cette tendance à l’excès, à la passion, caractéristique de l’adolescence. Le cadre est urbain, mais devient presque magique sous la « clarté » du « pâle réverbère » et le rêve semble prendre une tournure concrète avec l’apparition d’une jeune fille. L'inversion du sujet « demoiselle » et du verbe « passe » crée une légère rupture avec l'ordre syntaxique habituel et attire l’attention sur la demoiselle.


La lumière douce crée une ambiance à la fois romantique et mélancolique, renforcée par l’adjectif « pâle », qui donne une impression de fragilité. La demoiselle n’est pas décrite précisément, mais sa démarche aux « petits airs charmants » suggère une certaine légèreté, une grâce discrète. Il y a dans cette apparition une simplicité séduisante, qui semble toucher le poète.

Dessin représentant deux adolescents en promenade, inspiré du poème Roman de Rimbaud.

Cependant, cette scène poétique est presque brisée par la métonymie « faux col effrayant » qui désigne le père de la jeune fille, ce qui introduit une rupture ironique. Le père apparaît comme une figure imposante, ridicule et menaçante à la fois, avec le faux col. Par cette expression, Rimbaud se moque discrètement de la bourgeoisie.  L’adjectif « effrayant » marque bien le contraste entre l’idéal amoureux et la réalité sociale : l’amour adolescent se heurte à des limites, à des contraintes extérieures.


Ainsi, ce quatrain oscille entre élan lyrique et chute réaliste, soulignant à quel point l’amour naissant chez Rimbaud est à la fois puissant et naïf, exalté et déjà mis à distance.

 


  • Une interaction brève, intense et pleine de désillusion (6e quatrain)


Le quatrain suivant poursuit la scène, mais en centrant cette fois l’attention sur le comportement de la jeune fille, et sur ce qu’elle provoque chez le narrateur. Dès le premier vers, la naïveté de Rimbaud est soulignée par l’adjectif qualificatif « naïf ». L’hyperbole « immensément » accentue cette disproportion : le poète est vu comme trop candide. La jeune fille est surtout décrite par sa démarche, légère et sonore « trotter ses petites bottines ». L’allitération en [t] renforce l’impression de petit pas, légers, presque enfantins. Le vers suivant (v.23) introduit une forme de suspense amoureux, un geste soudain et plein de vie : la demoiselle se tourne. La succession des adjectifs « alerte » et « vif » accentue l’intensité de l’instant.


Le regard, même bref devient un événement. Mais la tension émotionnelle est immédiatement annulée par une chute poétique : « Sur vos lèvres alors meurent les cavatines… ». Le terme « cavatines », emprunté au vocabulaire musical (petits airs lyriques), symbolise ici les rêves poétiques, les échos amoureux que le garçon portait en lui. Le verbe « meurent » marque une fin soudaine, une désillusion douce mais réelle. Le rêve s’éteint avant même de se réaliser.


Ainsi, ce quatrain met en scène le contraste en les élans amoureux du poète et ses désillusions.


 

4. Les illusions et la légèreté d’un amour adolescent

Strophes 7 & 8

 


  • L’amour idéalisé et moqué (7e quatrain)


Dans ce 7e quatrain, Rimbaud poursuit le portrait du jeune amoureux, en mettant en avant son enthousiasme naïf et touchant. L’anaphore « Vous êtes amoureux » suggère un coup de foudre mais marque aussi le cliché de l’amour d’adolescent, universalisé par le pronom personnel « vous ». Ce coup de foudre est vite nuancé par la métaphore « Loué jusqu’au mois d’août. » Cette métaphore ironique souligne le coté éphémère et temporaire de l’amour. Cette distance est encore renforcée au vers suivant. « Vos sonnets La font rire. ». Le pronom « La », avec la majuscule, désigne la jeune femme de manière impersonnelle, presque distante. Le jeune homme, dans sa passion, écrit des poèmes, mais ceux-ci sont tournés en dérision : Rimbaud ironise sur l’idéal romantique et la création poétique devient même une source d’amusement.


Le rejet amoureux entrainement une forme d’isolement. L’amour fait fuir les amis du poète. C’est une manière pour Rimbaud de se moquer des amours adolescentes et de ses conséquences : il est devenu de « mauvais goût. » car l’amour l’a transformé. Rimbaud décrit avec lucidité les excès de l’adolescence. 


Enfin, une lueur d’espoir apparaît : « – Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire !… ». L’emploi du verbe « daigner », marque la distance affective entre la jeune fille et l’adolescent. La ponctuation expressive (le tiret, le point d’exclamation, les points de suspension) traduit une émotion vive, un bouleversement. Le ton redevient lyrique, et le vers suggère une revitalisation de l’espoir amoureux, même s’il reste fragile.

Ce quatrain met donc en scène les contradictions du sentiment amoureux chez un adolescent : il oscille entre idéalisation, rejet et exaltation, dans une ambiance à la fois tendre et ironique.



  • Une légèreté retrouvée (8e quatrain) 


Le dernier quatrain s’ouvre sur une note plus légère. Le changement est immédiat, marqué par l’expression : « – Ce soir-là… » qui renvoie au vers 2 « un beau soir » et marque une forme de circularité dans le poème : le jeune home semble être revenu au début. Ce retour à sa situation initiale est souligné par le vers 29 « vous rentrez aux cafés éclatants ».

L’emploi du verbe « rentrez » symbolise la fin de la passion amoureuse : Rimbaud retourne aux « cafés tapageurs » évoqués au début du poème et demande « des bocks ou de la limonade ». Les cafés deviennent sans doute un lieu de consolation. Le choix entre la bière « bocks » et la limonade (sans alcool) illustre une forme de passage entre l’enfance et l’âge adulte. Il suggère une certaine maturité en construction, encore hésitante.


La chute du poème arrive alors et reprend de manière circulaire le premier vers : « – On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans ». Ce vers fonctionne comme une morale, un constat universel. L’emploi du pronom « on » généralise l’expérience, transformant le souvenir personnel en vérité collective et s’apparente à une acceptation joyeuse de cette insouciance propre à l’adolescence. La gravité est rejetée au profit de la légèreté et de l’instant vécu.


Enfin, le dernier vers installe une image poétique et paisible. Les « tilleuls verts », symbole de la nature, de la douceur du printemps ou de l’été, créent une atmosphère de sérénité et de renouveau. La promenade devient le théâtre d’une liberté adolescente, rythmée par les amours passagers, les rêveries et les illusions. La rime riche entre « limonade » et « promenade » renforce cette impression de plénitude simple, presque musicale.


Ainsi, ce dernier quatrain donne au poème une conclusion lumineuse : après les hésitations et les maladresses du sentiment amoureux, demeure une vision poétique de la jeunesse, légère, insouciante et pleine de promesses.

 


Conclusion  


Dans Roman, Rimbaud dresse un portrait à la fois tendre, moqueur et poétique de l’adolescence, en particulier de ses premiers émois amoureux. Le poème explore avec subtilité les différentes facettes de cet âge de transition : l’éveil du désir, la rêverie romanesque, la maladresse des sentiments, les illusions, les déceptions, mais aussi la légèreté joyeuse d’une liberté naissante.


Ce regard sur l’adolescence, à la fois émerveillé et lucide, se retrouve dans d’autres poèmes des Cahiers de Douai, comme Sensation. Dans ce court poème, Rimbaud décrit une promenade estivale, empreinte de douceur et de sérénité. Il exprime un bonheur silencieux et une harmonie naturelle avec le monde.

 



Focus sur : la tonalité ironique



Photo d'une personne cachant son visage derrière une feuille, illustrant l'ironie.

L’ironie au service d’un regard distancié


La tonalité ironique repose sur un décalage entre ce qui est dit et ce qui est réellement pensé. L’auteur exprime une idée de manière détournée, souvent en faisant semblant de prendre au sérieux quelque chose qu’il critique en réalité.


L’ironie peut être légère ou mordante, mais elle suppose toujours une forme de distance entre le discours et le réel. Elle sert à se moquer, désamorcer une émotion trop intense, ou encore faire réfléchir le lecteur en le forçant à lire entre les lignes. Pour qu’il y ait ironie, il faut que le lecteur perçoive ce décalage : c’est ce qui fait de lui un complice du texte.



Une tonalité ironique pour désacraliser l’amour adolescent


Ce qui fait le charme et l’originalité du poème, c’est le regard à la fois attendri et moqueur que le poète porte sur les premiers élans amoureux.

Rimbaud adopte une tonalité ironique, qui lui permet de prendre ses distances avec le lyrisme romantique traditionnel. Cette ironie se manifeste d’abord dans le lexique familier et désinvolte, comme l’expression « vous êtes mauvais goût » ou le verbe « loué » utilisé à propos d’un amour d’été, comme s’il s’agissait d’un objet temporaire. Elle transparaît aussi dans la manière dont le poète décrit la réaction de la jeune fille, qui rit des sonnets de son prétendant : l’amour devient un sujet de comédie plus que de tragédie.

Enfin, l’alternance entre envolées lyriques « vous êtes amoureux » et notations concrètes et presque triviales « des bocks ou de la limonade » accentue le décalage entre l’intensité du sentiment et la réalité souvent décevante ou ridicule.

Grâce à cette ironie, Rimbaud dresse un portrait vivant et vrai de l’adolescence, où les émotions sont sincères, mais jamais idéalisées.





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