On ne badine pas avec l'amour - Musset - Acte III, scène 3
- Stéphanie Mongenie
- 15 sept.
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 sept.

📢 Acte III - Scène 3 - La manipulation de Perdican
De « Je t’aime, Rosette ! » à « Ô Rosette, Rosette ! sais-tu ce que c’est que l’amour ? »
Texte étudié
PERDICAN, à haute voix, de manière que Camille l’entende.
Je t’aime, Rosette ! toi seule au monde, tu n’as rien oublié de nos beaux jours passés ; toi seule, tu te souviens de la vie qui n’est plus ; prends ta part de ma vie nouvelle ; donne-moi ton coeur, chère enfant ; voilà le gage de notre amour.
Il lui pose sa chaîne sur le cou
ROSETTE
Vous me donnez votre chaîne d’or ?
PERDICAN
Regarde à présent cette bague. Lève-toi et approchons-nous de cette fontaine. Nous vois-tu tous les deux, dans la source, appuyés l’un sur l’autre ? Vois-tu tes beaux yeux près des miens, ta main dans la mienne ? Regarde tout cela s’effacer. (Il jette sa bague dans l’eau.)
Regarde comme notre image a disparu ; la voilà qui revient peu à peu ; l’eau qui s’était troublée reprend son équilibre ; elle tremble encore ; de grands cercles noirs courent à sa surface ; patience, nous reparaissons ; déjà je distingue de nouveau tes bras enlacés dans les miens ; encore une minute, et il n’y aura plus une ride sur ton joli visage ; regarde ! c’était une bague que m’avait donnée Camille.
CAMILLE, à part.
Il a jeté ma bague dans l’eau !
PERDICAN
Sais-tu ce que c’est que l’amour, Rosette ? Écoute ! le vent se tait ; la pluie du matin roule en perles sur les feuilles séchées que le soleil ranime. Par la lumière du ciel, par le soleil que voilà, je t’aime ! Tu veux bien de moi, n’est-ce pas ? On n’a pas flétri ta jeunesse ? on n’a pas infiltré dans ton sang vermeil les restes d’un sang affadi ? Tu ne veux pas te faire religieuse ; te voilà jeune et belle dans les bras d’un jeune homme. Ô Rosette, Rosette ! sais-tu ce que c’est que l’amour ?
1. Introduction
Présentation de l’auteur, de l’oeuvre et de l’extrait
Alfred de Musset, poète et dramaturge du XIXe siècle, a écrit On ne badine pas avec l'amour à l'âge de 24 ans. Cette pièce s'inscrit dans le mouvement littéraire du romantisme. Écrite en prose, sans rime, elle oscille entre un ton léger et grave, caractéristique du drame romantique. Les personnages principaux, Camille et Perdican, sont deux cousins amis d'enfance, mais leurs éducations les ont menés sur des chemins très différents : Camille a été élevée au couvent, tandis que Perdican a connu une vie beaucoup plus libre et libertine. La pièce débute avec les retrouvailles de ces deux personnages, mettant en scène les tensions et les émotions liées à leurs passés contrastés.
Dans la scène 3 de l’acte III, Perdican, blessé par Camille, cherche à se venger en séduisant Rosette, la sœur de lait de Camille. Ce passage mêle séduction et manipulation et Musset révèle la complexité des sentiments humains tout en mettant en lumière les enjeux du désir et de la vengeance.
2. Lecture de l’extrait
Lors de ton passage à l'oral, tu peux lire le texte à tout moment dans l'introduction. Cependant, beaucoup d'élèves oublient de le faire. Je te recommande donc de lire le texte juste après la présentation de l'œuvre et de l'extrait.
3. Annonce de la problématique
Comment Musset met-il en scène les ambiguïtés du jeu amoureux entre sincérité et manipulation ?
4. Annonce des mouvements
I. La mise en scène d’une déclaration d’amour ambiguë
II. Une manipulation théâtralisée
III. Une tirade implicitement destinée à Camille
I. La mise en scène d’une déclaration d’amour ambiguë
De Perdican, « à haute voix » à « Rosette vous me donnez votre chaine d’or ? »
Une intention délibérée
La didascalie « à haute voix » intensifie la théâtralité de la scène. Elle montre que Perdican s’adresse à Rosette pour la séduire, mais aussi pour provoquer une réaction chez Camille. Il y a ici un double discours : ce qui est dit à Rosette est en réalité destiné à Camille. Cette dimension scénique contribue à la tension dramatique, car le spectateur ou le lecteur perçoit que la situation risque d’échapper à Perdican.
Une déclaration d’amour ambiguë et exagérée
Perdican utilise un langage excessif et théâtral pour flatter Rosette et lui donner de l'importance. L’hyperbole « toi seule au monde » et l’expression « rien oublié » , créent l’illusion d’un amour unique et sincère. Le recours au passé et l'évocation des « beaux jours passés », renforce cette impression en jouant sur la nostalgie. Perdican cherche ainsi à toucher la sensibilité de Rosette tout en rappelant à Camille ce qu'elle tente d'effacer : leur complicité d’enfance (cf acte II, scène 5 : « tu reniais les jours de ton enfance ». L’anaphore « toi seule » accentue cette mise en scène en donnant à Rosette un rôle exclusif en la persuadant qu’elle est essentielle et irremplaçable. L’ insistance sur les souvenirs partagés crée une complicité illusoire qui oppose Rosette à Camille, celle-ci ayant renié leur passé commun.
Enfin, le lexique de la nostalgie « la vie qui n’est plus » contribue à idéaliser un passé fictif dans lequel Rosette aurait toujours été présente et fidèle, contrairement à Camille. Ainsi, sous une apparence de sincérité, cette déclaration est en réalité empreinte de duplicité (hypocrisie). Perdican manipule Rosette pour la séduire tout en cherchant à piquer Camille, qu’il sait à l’écoute.
Un futur prometteur mais trompeur
Perdican joue sur l’illusion d’un avenir commun en lançant à Rosette l’invitation « prends ta part de ma vie nouvelle ». Cette promesse, en apparence engageante, reste pourtant vague et dénuée de véritable substance. Il lui donne l’impression d’occuper une place essentielle à ses côtés, tout en cachant le caractère temporaire et intéressé de cette déclaration. Le verbe « prends » suggère une relation d’égalité, alors qu’elle est en réalité manipulée. L’injonction « donne-moi ton cœur » révèle une exigence d’amour total, mais unilatérale. Perdican réclame les sentiments de Rosette mais n'engage pas les siens en retour. L’image du « cœur » traduit davantage une tentative de contrôle sur les émotions de la jeune fille. Le terme « gage » renforce cette illusion d’engagement en évoquant une garantie, mais cette promesse est trompeuse.
Enfin, la didascalie souligne l’importance du geste symbolique. En offrant un objet précieux, Perdican donne à son affection une apparence de sincérité. Mais ce cadeau devient un instrument de domination, matérialisant son emprise sur Rosette tout en servant son dessein de manipulation : d’un côté, il flatte et manipule Rosette, de l’autre, il provoque Camille, en lui montrant qu’il est capable de se détourner d’elle.
II. Une manipulation théâtralisée
De Perdican « regarde à présent cette bague » à « c’était une bague que m’avait donnée Camille. »
La métaphore de la fontaine
La fontaine et la bague constituent des métaphores fortes de la relation entre Perdican et Camille : elles rappellent leur passé commun tout en soulignant l’illusion d’un engagement durable. Perdican dirige la scène avec autorité grâce aux injonctions répétées « regarde », « lève-toi », « approchons-nous », qui installent une véritable dramaturgie. En orchestrant chaque geste, il impose son double discours, à la fois séducteur et manipulateur. L’eau de la fontaine joue un rôle symbolique essentiel : miroir des émotions, elle semble refléter la tendresse, mais révèle en réalité la fragilité et l’éphémère de ce moment. La proximité suggérée par des expressions comme « appuyés l’un sur l’autre » et par l’usage récurrent des possessifs « tes, miens, mienne » donne l’illusion d’une union fusionnelle. L’image de « ta main dans la mienne » évoque même discrètement le mariage, renforçant l’apparence idyllique de la scène. Pourtant, derrière cette construction poétique, Perdican manipule les signes de l’amour romantique pour troubler Camille et séduire Rosette, révélant l’ambiguïté et l’instabilité de ses véritables sentiments.
La manipulation de Perdican
Perdican manipule habilement les émotions de Rosette à travers des gestes et des paroles chargés de sens ce qui dramatise la scène. Il l'invite à observer la disparition de leur reflet dans l'eau qui devient une métaphore des sentiments instables et éphémères. En jetant la bague dans l’eau, matérialise symboliquement une rupture. Cet objet, chargé de souvenirs et de promesses, incarne à la fois son passé avec Camille et son engagement apparent envers Rosette. Enfin, le retour progressif de l’image dans l’eau « la voilà qui revient peu à peu » souligne l'instabilité des sentiments. Les personnages peuvent essayer de restaurer ce qui semble perdu, mais l’harmonie véritable leur échappe constamment, nourrissant la tension entre Perdican et Camille.
Une tension entre trouble et équilibre
L’ eau retrouve progressivement son calme ce qui symbolise un équilibre fragile. Mais ce répit est trompeur. Le verbe « tremble », associé à l’adverbe « encore », souligne une persistance de la fragilité : le calme n’est qu’apparent, masquant des tensions sous-jacentes qui ne demandent qu’à ressurgir. Le lexique du mouvement « s’effacer, revenir, trembler » met en lumière l’instabilité émotionnelle des personnages. L’image des cercles noirs évoque les répercussions insidieuses des manipulations de Perdican, qui, comme les ondulations dans l’eau, se propagent et affectent durablement Rosette et Camille. Les traces laissées par ces perturbations montrent que ses actes ont des conséquences irréversibles.
Une temporalité étirée : la manipulation par l’attente
Perdican étire volontairement la temporalité pour installer une tension dramatique et garder Rosette sous son emprise. Le lexique du temps « patience », « déjà », « encore une minute » crée l’illusion d’un contrôle sur les émotions, renforçant la théâtralité de la scène. Cette mise en attente calculée se double d’une fausse intimité : l’image corporelle « tes bras enlacés dans les miens » évoque une union sincère, mais ne sert qu’à séduire Rosette tout en visant Camille, la véritable spectatrice. L’hyperbole « il n’y aura plus une ride » confère à cette illusion une dimension idéale, comme si l’eau troublée pouvait retrouver sa pureté première. En flattant Rosette « ton joli visage », Perdican nourrit cette apparence de sincérité. Mais la répétition de l’impératif « regarde » rappelle qu’il orchestre chaque geste pour contraindre Camille à revivre leur passé commun. Ainsi, Rosette devient un simple instrument de manipulation, et cette stratégie, fondée sur des promesses instables, annonce déjà la tragédie qui se profile.
III. Une tirade implicitement destinée à Camille
De Camille « Il a jeté ma bague dans l’eau ! » à la fin
La remarque de Camille
L’aparté de Camille souligné par la didascalie, rappelle sa présence et met en lumière la dimension provocatrice du geste de Perdican. Son exclamation trahit une blessure profonde, mêlant jalousie et douleur. Musset rappelle ainsi l’importance des objets comme symboles des sentiments. Par ce geste provocateur, Perdican ravive le souvenir de leur passé commun et précipite l’affrontement latent.
Une séduction didactique et dominatrice
En interrogeant Rosette « sais-tu ce que c’est que l’amour, Rosette ? », Perdican adopte un ton à la fois didactique et dominateur. La question rhétorique, doublée de la répétition du prénom, crée l’illusion d’une proximité sincère mais installe surtout son ascendant. Rosette, naïve, devient l’élève d’un maître en sentiment, tandis que Camille est la véritable cible de cette mise en scène.
Le lyrisme de la nature au service d’un idéal trompeur
L’évocation poétique de la nature « le vent se tait », « le soleil ranime les feuilles » donne une tonalité lyrique et sensuelle à la tirade. La personnification des éléments naturels symbolise une harmonie idéale et la métaphore de la rosée, fragile et éphémère, renvoie directement à Rosette. Ce discours lyrique flatte la simplicité de la jeune fille, tout en soulignant en creux la froideur de Camille : Perdican oppose ainsi l’élan spontané de Rosette au renoncement imposé par l’éducation religieuse. La déclaration d'amour « voilà que je t'aime » marque un moment fort. Le lexique de la lumière « lumière, soleil » donne une gravité presque sacrée à son engagement et la question rhétorique « tu veux bien de moi ? » laisse entendre que Camille a rejeté Perdican. C’est presque une affirmation déguisée : le « n’est-ce pas » suggère que Perdican attend un acquiescement de Rosette et laisse ainsi entendre qu'elle ne le rejettera pas comme l’a fait Camille.
Un faux serment d’amour, entre exaltation et manipulation
À travers des métaphores, Perdican oppose implicitement Rosette à Camille : en comparant la jeunesse de Rosette à une fleur que rien n’a « flétrie », il souligne son innocence préservée, contrairement à Camille, marquée selon lui par l’influence de l’éducation religieuse. L’image du « sang vermeil », symbole de vitalité et de pureté, s’oppose au « sang affadi », métaphore de l’usure et des déceptions, accentuant cette opposition.
Rosette est ainsi idéalisée comme figure de spontanéité et de naturel, quand Camille incarne le renoncement et la froideur. La métonymie « jeune et belle dans les bras d’un jeune homme » réduit cependant l’amour à une sensualité physique, enfermant Rosette dans une vision réductrice de la femme. Perdican flatte et manipule, cherchant à séduire Rosette tout en provoquant Camille. L’apostrophe « Ô Rosette, Rosette ! », accompagnée de l’exclamation et de la répétition du prénom, donne à son discours une intensité théâtrale, renforçant son emprise sur la jeune fille. La question rhétorique « Sais-tu ce que c’est que l’amour ? » ne vise pas à obtenir une réponse, mais à imposer sa propre définition, plaçant Rosette en position d’élève face à son savoir supposé. Derrière la solennité de ce serment, l’ambiguïté demeure : il s’agit moins d’un élan sincère que d’une stratégie calculée
Conclusion
Dans cette scène centrale, la rencontre entre Perdican et Rosette à la fontaine mêle séduction, manipulation et réflexions sur l’amour. Perdican utilise un discours poétique pour séduire Rosette et contraster son innocence avec la froideur de Camille. Malgré la beauté apparente de son discours, Perdican manipule Rosette pour atteindre Camille. Cette scène met en lumière les tensions internes et oppose l'innocence manipulée de Rosette à la méfiance de Camille.
Cette scène fait écho à la scène 5 de l‘acte 2 où Perdican critique l’éducation que Camille a reçue et qui l’a détournée de l’amour vrai.
Focus sur : la structure clivée

Une structure clivée (ou extraction) est une construction grammaticale qui met en valeur une partie spécifique d'une phrase en utilisant un présentatif, comme « c'est... que » ou « c'est... qui ».
Les mots ce...que ou ce...qui agissent comme un outil pour attirer l’attention sur un élément, en le mettant au centre de la phrase.
Transformation d’une phrase simple en phrase clivée :
→ le courage manque à ces soldats devient
→ c'est le courage qui manque à ces soldats : la structure clivée met l'accent sur le courage.
Dans la scène entre Perdican et Rosette, la phrase clivée revient deux fois dans la dernière tirade de Perdican : « sais-tu ce que c’est que l’amour ? ».
Cela qui signifie qu'elle est construite pour mettre en valeur une partie spécifique de l'information, ici l’amour.



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